L’incontinence fécale correspond au passage involontaire de selles liquides ou solides pendant plus de trois mois, chez un individu âgé de plus de 4 ans. Elle diffère de l’incontinence anale (IA) qui concerne de surcroît la perte involontaire de gaz.
L’étiologie de l’IA est multifactorielle. Une distinction entre origine anatomique, fonctionnelle ou neurologique est souvent difficile à établir. Parmi les causes anatomiques principales figurent des traumatismes obstétricaux et iatrogènes, une spina bifida, un prolapsus rectal ou des organes pelviens et une dégénérescence du sphincter anal interne.
Les lésions obstétricales représentent de loin la cause la plus fréquente. Procéder à césarienne ne protège pourtant pas complètement de l’IA. L’incontinence anale par regorgement représente une entité à part, fréquente chez la personne âgée, causée par la constipation chronique.
La prévalence de cette condition invalidante varie énormément selon les études (0.4 – 18%), avant tout en fonction l’âge, du sexe, de la parité, des critères diagnostics et d’éventuelles co-morbidités. En Suisse, Roche et coll. ont trouvé une prévalence générale de 10.3%. Une méta-analyse récente a révélé que la différence de prévalence homme/femme n’est pas significative, malgré le fait que, pour d’autres, la proportion féminine soit supérieure. Le coût de cette pathologie est estimé à 2′169 Euros par patient/an.
La honte générée par les symptômes d’incontinence incite souvent le patient à utiliser les termes «diarrhées» ou encore «urgences». Il est du devoir du médecin d’identifier le problème, la présentation clinique variant d’une incontinence rare aux gaz à la perte quotidienne de selles formées. La tenue d’un journal des symptômes, d’une check-list et d’un score de gravité permettent de mieux évaluer la pathologie et de suivre son évolution.
L’examen sera orienté vers la recherche d’une pathologie systémique. L’évaluation neurologique représente une étape clé de l’investigation. L’examen abdomino-périnéal et anorectal comprend l’inspection et le toucher rectal.
La manométrie ano-rectale représente l’examen physiologique de choix, renseignant sur les aspects moteurs et sensitifs de l’appareil sphinctérien. Une rectoscopie, voire une colonoscopie, sont souvent recommandées. L’imagerie ano-rectale comporte l’ultrasonographie endo-anale et l’IRM du plancher pelvien. La défécographie (standard ou IRM), l’électromyographie et le temps de latence du nerf honteux représentent d’autres modalités utiles. L’apparition nouvelle de selles diarrhéiques incontrôlées justifie des investigations supplémentaires (glycémie, hormones thyroïdiennes, culture de selles, test de respiration, cœliaquie, intolérance, malabsorption, etc…).
Une prise en charge multidisciplinaire de l’IA est requise. Les mesures diétético-comportementales, médicamenteuses et physiothérapeutiques (biofeedback) figurent au premier plan. Le recours à la chirurgie n’est nécessaire que dans des cas bien précis.
Une approche essentielle consiste en une bonne hydratation. Un apport adéquat en fibres/mucilages (p. ex. Laxiplant® soft 20g/j) permet de régulariser le transit. Tout aliment modifiant ce dernier ou générant une production accrue de gaz (lait, chocolat, caféine, fruits et légumes en quantité, etc…) doit être évité.
Le mécanisme de la défécation est complexe et nombre de patients adoptent des attitudes erronées. Les efforts défécatoires, fréquents lors de constipation chronique avec IA par regorgement, induisent des lésions traumatiques des nerfs honteux. Le respect d’une hygiène stricte de la région périnéale doit être enseigné au patient. Parfois, l’utilisation de tampons obturateurs anaux (Peristeen Obtal ®, Coloplast) permet d’obtenir d’excellents résultats.
Les médicaments couramment utilisés servent principalement à normaliser la qualité des selles. En cas de diarrhées, le lopéramide est supérieur au diphenoxylate. Certains anti-dépresseurs tricycliques aux effets anti-cholinergiques, serotoninergiques et anti-muscariniques, telle l’amitriptyline à faible dose, sont efficaces. Lorsqu’il existe une constipation associée, fibres, laxatifs osmotiques et stimulants peuvent être prescrits, mais de manière prudente.
Le « biofeedback » correspond à « un groupe de procédés thérapeutiques utilisant une instrumentation électronique pour mesurer, traiter et représenter l’activité neuromusculaire des individus au moyen de signaux sonores ou optiques ». Pour traiter l’IA, plusieurs modalités existent : capteurs électro-myographiques intra- ou périanaux, ballonnet intra-rectal ou encore la combinaison de la manométrie anorectale et de l’ultrasonographie endoanale, sans que l’une d’entre-elles n’apporte d’amélioration significative par rapport à l’autre. Cette approche vise à améliorer le contrôle des volumes transitant par l’anus, le tonus et la contractilité des sphincters, la proprioception et la coordination des mouvements abdomino-pelviens lors de la défécation.
Une intervention chirurgicale peut être justifiée lorsque les mesures conservatrices n’ont pas apporté d’amélioration significative. En cas de délabrement sphinctérien important, une reconstruction chirurgicale est requise en premier lieu.
Pour l’IA modérée due à une insuffisance du sphincter anal interne, l’injection intersphinctérienne d’agents « expanseurs » (Bioplastique®, PTQ ImplantsTM, Coaptite®, PermacolTM, …) peut s’avérer efficace. L’infection est la complication la plus fréquente, et les résultats à long terme de cette technique sont malheureusement peu satisfaisants.
La neuromodulation sacrée ou « sacral nerve stimulation (SNS) » peut être proposée aux patients incontinents dont l’évaluation pré-opératoire exclut toute contre-indication. Le recours à ce traitement doit être décidé de manière rigoureuse, en particulier en raison de son coût. Elle semble être une approche très prometteuse, de par sa nature peu invasive, son haut taux d’efficacité et ses rares complications.
D’autres techniques chirurgicales plus complexes, visant à restaurer la continence en présence de dégâts anatomiques et/ou neurologiques sévères, sont disponibles. La graciloplastie dynamique ou le néo-sphincter en sont deux exemples. La morbidité importante associée, de même que leurs résultats variables à long terme limitent toutefois leur indication. En situation dépassée, une colostomie définitive peut être proposée, en particulier chez des patients fragiles. Ce geste permet une amélioration significative du confort et facilite les soins.
Tiré de l’article du Dr Y. Cerantola & coll., Revue médicale suisse 2009.