Actifs dans les coulisses, les laboratoires du CHUV jouent un rôle primordial dans la prise en charge des patient-e-s. Dans ce cinquième épisode, nous partons à la découverte des laboratoires du Service d’hématologie avec le Pr Lorenzo Alberio, chef de service adjoint. Interview.
Pr Lorenzo Alberio, l’hématologie est l’un des grands domaines de la médecine de laboratoire. Pouvez-vous nous rappeler en quelques mots en quoi consiste cette spécialité médicale ?
L’hématologie, dont l'étymologie grecque signifie «l’étude du sang», est une discipline médicale dédiée au diagnostic et au traitement des maladies liées au sang. Cela couvre un spectre très large de pathologies, allant de troubles fréquents et souvent bénins, comme l’anémie, à des maladies bien plus graves, telles que les leucémies et les lymphomes. Cette spécialité englobe également la prise en charge des affections liées à la coagulation.
Dans quelles situations cliniques fait-on appel à vos laboratoires ?
Une part importante de nos activités concerne des analyses dites «de routine», qui jouent un rôle clé dans la prise en charge quotidienne des patient-e-s. Il s'agit notamment des analyses de formules sanguines, des tests de base de la coagulation et du suivi des traitements anticoagulants. En parallèle, nous réalisons un large éventail d’analyses spécialisées, adaptées à des situations cliniques spécifiques. Par exemple, cela peut inclure l’identification de causes rare d’une anémie, l’exploration d’un saignement d’origine indéterminée ou encore l’évaluation du risque de récidive de thrombose. Nous sommes également sollicités pour le diagnostic, la stratification du risque, le monitorage du traitement et le suivi des maladies hémato-oncologiques, comme les leucémies, les lymphomes et les myélomes. Chaque analyse, qu’elle soit de routine ou spécialisée, vise à fournir des réponses précises et fiables afin de guider les décisions cliniques et optimiser les soins aux patient-e-s.
Et cela représente combien d’analyses par année ?
Nous réalisons environ 750 000 analyses par an. Parmi celles-ci, deux tiers concernent des patient-e-s hospitalisé-e-s au CHUV, tandis que le tiers restant provient principalement de traitements ambulatoires, en grande majorité également effectués au CHUV. Un faible pourcentage de ces analyses est effectué pour d’autres hôpitaux, notamment lorsqu’il s’agit d’examens complexes nécessitant un haut niveau de spécialisation. Notre laboratoire d’oncogénomique, dirigé par la Pre Jacqueline Schoumans Pouw, illustre bien ce niveau d’expertise. Référence en Suisse dans son domaine, il consacre environ 80 % de son activité à des demandes provenant d’établissements externes.
Vous venez de mentionner le laboratoire d’oncogénomique. Pouvez-vous nous présenter brièvement l’organisation des laboratoires diagnostiques du Service ?
Nous sommes structurés autour de deux laboratoires diagnostiques, chacun composé de sous-unités spécialisées. Le laboratoire central d’hématologie couvre les analyses de routine, les troubles de la coagulation, l’étude des moelles osseuses et des marqueurs spécifiques, ainsi que les anomalies génétiques. Le laboratoire d’oncogénomique, quant à lui, est consacré à l’analyse dans un but diagnostique et pronostique des leucémies de l’enfant et de l’adulte, ainsi que des tumeurs solides pédiatriques. Il se distingue par des techniques avancées, comme la cytogénétique, la puce à ADN, la méthode FISH et le séquençage à haut débit (NGS).
Tout comme le CHUV, le laboratoire central d'hématologie ne dort jamais, avec une garde de nuit assurée 7 jours sur 7.
Vos équipes assurent un service de garde 24/7. Pouvez-vous nous en dire davantage ?
Effectivement, le laboratoire central d’hématologie garantit une garde quotidienne avec deux technicien-ne-s en analyses biomédicales (TAB) présents sur place de 19h à 7h. Cette présence est essentielle, car près d’un tiers de nos analyses sont réalisées durant cette période. Au CHUV, les prélèvements de routine commencent très tôt, dès 4h pour certains étages, et la majorité sont effectués entre 6h et 7h. En plus des analyses de routine, les TAB de garde gèrent également des situations d’urgence, ce qui représente un défi important. Leur expertise permet de détecter des urgences hématologiques, comme les leucémies aiguës, au milieu des prélèvements courants. Pour cela, ils collaborent étroitement avec un médecin hématologue de piquet, disponible en permanence pour répondre à leurs questions ainsi qu’à celles des médecins des étages ou des urgences.
Pour en savoir plus: podcast « Les métiers de l'ombre », réalisé par la journaliste Yseult Théraulaz - À la découverte du métier de TAB avec Cindy Celeste, lors d'une nuit passée au laboratoire d'hématologie du CHUV.
Lors de la visite de vos laboratoires, nous avons remarqué la présence de nombreux microscopes multi-têtes. La collaboration interprofessionnelle semble être très ancrée dans votre activité. Est-ce une nécessité ?
Oui, totalement. J’ajouterais que c’est une spécificité de l’hématologie en Suisse, où le côté clinique et le côté laboratoire cohabitent sous le même toit. Cette proximité entre TAB et médecins n'est pas seulement mutuellement enrichissante, mais elle bénéficie avant tout aux patient-e-s. Les TAB tirent avantage du contexte clinique fourni par les médecins, ce qui leur permet de mieux comprendre l'utilité et le sens de leur travail, tout en augmentant leurs connaissances. Les médecins, quant à eux, profitent des compétences techniques des TAB, qui leur expliquent comment les résultats sont obtenus et les aident à mieux interpréter les analyses. Ces microscopes multi-têtes auxquels vous faites référence jouent un rôle clé dans cette collaboration. Ils facilitent les échanges entre techniciens et cliniciens sur des cas spécifiques et constituent également un outil précieux pour la formation continue de nos équipes.
Nous avons également appris que les TAB interviennent parfois directement au chevet des patient-e-s pour effectuer les prélèvements d’échantillons.
En effet, c’est le cas des ponctions de moelle qui sont réalisées par l’équipe de l’unité d’hématologie spéciale. Pour ces prélèvements, les technicien-ne-s se rendent auprès du patient avec un chariot de travail disposant de tout le matériel nécessaire pour la ponction. Sur place, leur rôle est d’assister et conseiller le médecin qui réalise le geste et de s’assurer que le formulaire de demande est correctement rempli. Durant la ponction, ils ou elles ont la possibilité de s’entretenir avec le patient, ce qui peut contribuer à diminuer son stress. Leur rôle est ensuite de s’assurer qu’assez de matériel a été prélevé et de préparer les échantillons, en vue des analyses de laboratoire.
Quel rôle joue aujourd’hui l’intelligence artificielle dans vos laboratoires ?
Une des forces de l’IA est sa formidable capacité à gérer de l’information. Face à une quantité de données toujours plus grande à traiter, l’IA est un précieux allié pour analyser, filtrer, trier et extraire des données utiles pour le travail clinique. Dans nos laboratoires, cette technologie est déjà mise à profit, notamment en oncogénomique, où elle permet de reconnaître rapidement des formes cellulaires et d’établir des caryotypes en identifiant les chromosomes. Ces résultats sont ensuite validés et, si nécessaire, corrigés par un-e TAB. À l’avenir, l’intelligence artificielle, combinée à la digitalisation, pourrait nous amener à délaisser progressivement les microscopes au profit des écrans, ce qui transformerait grandement nos pratiques.
Est-ce que les laboratoires diagnostiques prennent aussi part à des projets de recherche ?
En tant que laboratoires diagnostiques universitaires, nous sommes régulièrement confrontés à des cas complexes et exigeants. À ce titre, nous avons la responsabilité de rester à la pointe des connaissances scientifiques et de développer des techniques innovantes pour répondre à ces défis. Pour cela, nous privilégions le développement d’une recherche translationnelle au sein de notre Service, en établissant une collaboration étroite entre les laboratoires diagnostiques et ceux de recherche fondamentale, principalement dans les domaines de l’hémato-oncologie et de l’hémostase.
Dans les années à venir, quels projets de développement seront prioritaires pour les laboratoires du Service d’hématologie ?
La mise à jour continue des automates et des techniques diagnostiques restera une priorité centrale, soutenue par une collaboration étroite entre technicien-ne-s et clinicien-ne-s pour garantir des réponses adaptées aux besoins cliniques. Une autre priorité est celle de soigner l’esprit d’équipe; en effet, une dynamique humaine positive contribue de manière déterminante à la qualité du travail. Nous avons aussi pour projet d’entamer un processus de numérisation des échantillons, non seulement pour optimiser le stockage, mais aussi pour exploiter des analyses avancées, avec l’aide l’intelligence artificielle. Par ailleurs, nous prévoyons de développer nos activités en analyses spécialisées, en particulier en hémato-oncologie et en hémostase, en attirant de nouveaux clients externes. Enfin, nous continuerons de cultiver et valoriser notre esprit académique, essentiel à notre mission d’innovation, de transmission et de création du savoir.
Propos recueillis par Franco Genovese
Photos: © Gilles Weber