Actifs dans les coulisses, les laboratoires du CHUV jouent un rôle primordial dans la prise en charge des patient-e-s. Dans ce deuxième épisode, nous partons à la découverte de l’Institut de microbiologie avec le Pr Gilbert Greub, chef de service. Interview.
Pr Gilbert Greub, est-ce que nous pouvons dire que vos laboratoires diagnostiques sont spécialisés dans l’étude des microbes ou est-ce que cela serait trop réducteur ?
Non, effectivement, on peut dire que nous étudions les microbes. Pour être plus précis, je dirais que nos laboratoires sont spécialisés dans les analyses qui permettent de détecter non seulement les microbes dans les échantillons, mais aussi la réponse immunitaire de l’hôte face à la présence de ces micro-organismes.
J’ajouterais que le terme microbe englobe plusieurs catégories de micro-organismes, principalement les bactéries, les parasites, les champignons et les virus. En général, nous avons donc affaire à de petits organismes, d’où l’utilisation du terme « micro », même s’il y a quelques exceptions, principalement du côté des parasites. En effet, certains, comme le ver solitaire, peuvent faire plusieurs mètres de long.
Dans quelles situations faisons appel aux laboratoires diagnostiques de l’Institut de microbiologie ?
Les situations peuvent être très diverses. Le cas le plus simple est celui d’un ou d’une patiente avec de la fièvre, sans maladie spécifique d’un organe connue. Dans ce cas, nos laboratoires sont sollicités pour analyser son sang et déterminer la source de l’infection. Au contraire, nous pouvons aussi être amenés à analyser des échantillons dans le cadre d’une maladie bien précise, comme une pneumonie ou un abcès du foie par exemple. Les scénarios sont vraiment très variés. Chaque jour, nous effectuons plus d’un millier d’analyses sur 700 à 800 échantillons.
« Nos laboratoires effectuent chaque jour plus de 1000 analyses. »
Quelles technologies sont utilisées dans vos laboratoires ?
Nous utilisons principalement cinq technologies d’analyse. La microscopie, la culture, qui est aujourd’hui grandement automatisée, la PCR, la sérologie et la génomique. Nos laboratoires sont d’ailleurs organisés autour de ces cinq pôles technologiques.
Comment sont transmis les résultats aux clinicien-ne-s ?
La totalité des résultats sont transmis automatiquement et de manière informatique par le système de l’hôpital. Pour certaines analyses cependant, soit environ 1% de nos résultats, la transmission se fait aussi oralement. Ce sont des résultats que nous jugeons trop importants et trop urgents pour ne nous fier qu’au système informatique. Ce sont par exemple des cas de méningite, de malaria, de septicémie ou lorsque nous trouvons des microbes dans des abcès du foie ou du cerveau. Dans ces situations, nous téléphonons au médecin afin de détailler les résultats, mais aussi pour en savoir davantage sur le cas. Selon nos échanges, nous pouvons recommander des analyses supplémentaires.
Durant la pandémie de COVID-19, vos équipes ont été grandement sollicitées. Que retenez-vous de cette période ?
Je retiens surtout l’incroyable solidarité et l'énergie des équipes. Nous avons pu faire des choses qui étaient jusque-là impensables en termes de volume d’analyses. Les équipes PCR étaient bien sûr en première ligne, mais le personnel des autres laboratoires a aussi apporté son aide, sans discuter. En mars 2020, nous travaillions presque 24 heures sur 24, avec en moyenne 1500 échantillons à analyser quotidiennement qui venaient de toute la Suisse romande. Pour vous donner un ordre d’idée, en trois ans, nous avons réalisé plus de 340'000 tests PCR SARS-CoV-2.
Comme le COVID-19, vous travaillez avec des micro-organismes dangereux et infectieux. Quelles sont les mesures de sécurité mises en place dans vos laboratoires ?
Nous suivons les directives édictées par les organismes compétents au niveau national. Nous veillons aussi à ne pas exposer les personnes vulnérables, comme les personnes immunodéprimées ou les femmes enceintes, dans les laboratoires où nous réalisons des cultures. Nous avons aussi un laboratoire de haute sécurité P3, pour les pathogènes de classe 3. On parle ici de microbes comme le virus Ebola ou l’agent de l’anthrax qui nécessitent des mesures adaptées. Que ce soit au niveau de la tenue du personnel, de l’aération, du contrôle des flux d’entrée et de sortie, tout est mis en place pour garantir un très haut niveau de biosécurité.
Au-delà de l’aspect diagnostique, l’Institut de microbiologie est également actif dans le domaine de la recherche. Quels en sont les principaux axes ?
L'un de nos grands thèmes est sans conteste la résistance aux antimicrobiens en général. Par exemple la résistance du virus HIV aux trithérapies, la résistance des bactéries aux antibiotiques ou encore la résistance de certains champignons pathogènes aux antifongiques. L’autre axe de recherche concerne le microbiote, à savoir cet ensemble de microbes qui sont naturellement présents dans notre corps. En les étudiant, nous souhaitons mieux comprendre les liens entre microbiote et des maladies non infectieuses comme le diabète, l’obésité et même les troubles de la mémoire. C’est quelque chose d’absolument unique en microbiologie et avec un grand potentiel thérapeutique. Enfin, nous travaillons aussi sur les pathogènes émergents qui sont un corolaire de nos nouveaux modes de vie comme le nombre accru d’animaux de compagnie (parfois exotiques), des voyages à l’étranger outre-mer, et bien sûr le réchauffement climatique.
Une exposition sur les microbes à venir au Musée de la main, une bande dessinée en préparation ou encore un jeu éducatif, votre Institut participe à de nombreux projets destinés au grand public. La sensibilisation, c’est important ?
Oui, je suis convaincu que nous pouvons avoir un impact significatif sur la santé de la population en augmentant les connaissances du grand public. Avec ces divers projets, comme le jeu de société MyKrobs, nous essayons de le faire de manière amusante et participative. Cela permet de passer des messages de prévention simples, sur les tiques par exemple ou encore de sensibiliser sur l'importance des vaccins. C’est aussi un moyen de dédiaboliser les microbes. Car oui, il y a aussi des microbes « gentils » qui nous sont très utiles et qu’il faut préserver.
« Il y a aussi des microbes "gentils" qui nous sont très utiles. »
Dans le futur, quels défis voyez-vous dans le domaine de la microbiologie médicale ?
Les résistances antimicrobiennes, le microbiote et les pathogènes émergents vont sans conteste être au centre de nos préoccupations. Au niveau technologique, l’automatisation, le recours à l’intelligence artificielle et la miniaturisation vont être de gros défis avec à la clé d’énormes potentiels de développement dans le domaine diagnostique. Enfin, le contexte politique et réglementaire, notamment en ce qui concerne les tests in vitro, sera aussi un enjeu pour l'avenir de notre discipline.
Propos recueillis par Franco Genovese
Photos: CHUV/Heidi Diaz, Rémi Clément, Gabriel Monnet, Eric Deroze