Actifs dans les coulisses, les laboratoires du CHUV jouent un rôle primordial dans la prise en charge des patient-e-s. Dans ce quatrième épisode, nous partons à la découverte des laboratoires du Service de pharmacologie clinique avec le Pr François Girardin, chef de Service. Interview.
Pr François Girardin, avant de parler du travail de vos laboratoires, pouvez-vous nous rappeler le périmètre d’activité de la pharmacologie clinique ?
La pharmacologie clinique est une discipline éminemment transversale qui se préoccupe de l’utilisation rationnelle des médicaments. Nos domaines d’activité comprennent entre autres l’étude de l’efficacité des médicaments, leur tolérance et leurs interactions avec d’autres médicaments, mais aussi avec l’alimentation ou les plantes médicinales.
La pharmacologie clinique participe aussi grandement au développement d’une médecine personnalisée. Elle permet en effet d’adapter l’administration et le dosage d’un médicament en fonction des particularités d’un patient. Pour cela, nous nous appuyons bien sûr sur les analyses réalisées au sein de nos laboratoires.
À ce propos, comment sont organisés les laboratoires du Service ?
Nous disposons de deux laboratoires, l’un est dédié spécifiquement au dosage des médicaments, tandis que le second est spécialisé dans l’analyse des catécholamines et des peptides qui sont des biomarqueurs associés à certaines maladies. À noter que nous disposons également d’une unité de monitoring thérapeutique des concentrations de médicaments (TDM : Therapeutic Drug Monitoring) qui interprète les dosages réalisés par notre laboratoire et celui du Service de chimie clinique. En termes d’activité, nos laboratoires réalisent environ 25’000 interprétations de dosages par année.
Et cela représente combien de personnes ?
Cela représente une vingtaine de personnes issues de sept corps de métier. Une équipe interdisciplinaire donc. Nous avons des pharmacien-ne-s, des expert-e-s scientifiques, des technicien-ne-s en analyses biomédicales, des laborantin-es et des chimistes. Tous sont spécialisé-e-s dans la technique d’analyse majoritairement utilisée au sein de nos laboratoires : la chromatographie liquide à haute performance couplée à la spectrométrie de masse en tandem (LC-MS/MS). L’interprétation des résultats, quant à elle, est réalisée, selon le laboratoire et le domaine, par des pharmacien-ne-s, des médecins et des biologistes.
« Notre laboratoire peut doser plus de 130 médicaments. Un tel catalogue d'analyses est unique en Suisse. »
Pour quelles situations cliniques fait-on appel au laboratoire de dosage des médicaments ?
C’est le cas par exemple lorsqu’une personne a une réponse insuffisante à un traitement ou qu’il y a une suspicion de toxicité. Le dosage de médicament est aussi demandé lors de manifestations cliniques ambiguës, de dysfonction d’organes ou d’interaction médicamenteuse. Nous avons la chance de disposer d’une installation technique de pointe qui nous permet de doser plus de 130 molécules. En Suisse, c’est unique d’avoir un tel catalogue d’analyses à disposition.
Sur quelles bases ont été choisis ces 130 médicaments ?
Chaque dosage de médicament demande un développement propre qui est conséquent, sans parler des aspects d’accréditation. Nous recevons régulièrement des demandes de possibilités de dosages émanant des cliniciens, ce qui rend nécessaire une sélection des dosages de réelle utilité clinique. C’est typiquement le cas des médicaments dits à index thérapeutique étroit. Ces médicaments se caractérisent par des concentrations thérapeutiques proches de celles qui sont toxiques : comme « sur le fil du rasoir », le prescripteur a peu de marge de manœuvre pour trouver la bonne dose. De ce fait, un monitoring précis des doses et des concentrations de ces molécules est pertinent pour assurer l’efficacité et la sécurité du traitement. Parmi ces médicaments à marge thérapeutique étroite, nous trouvons typiquement des immunosuppresseurs, des antibiotiques, des antifongiques, des chimiothérapies ou encore des antiépileptiques.
L’autre laboratoire du Service ne dose pas des médicaments, mais des biomarqueurs bien précis. Pouvez-vous nous en dire un peu plus ?
Une activité importante de ce laboratoire consiste en effet à quantifier des biomarqueurs spécifiques dans des échantillons pour aider au diagnostic des tumeurs neuroendocrines notamment. Les biomarqueurs en question sont les catécholamines, la sérotonine et leurs dérivés qui ont la particularité d’être secrétés en quantité excessive par l’organisme en cas de tumeurs neuroendocrines. En parallèle à cette routine clinique, le laboratoire est très impliqué dans le développement de nouveaux biomarqueurs très prometteurs, les peptides, qui pourraient révolutionner le diagnostic et la compréhension de certaines maladies métaboliques. À ce jour, des méthodes ont été validées, d’autres sont en cours de validation pour des maladies comme le cancer de la prostate, le diabète, l’ostéoporose, l’hypertension ou encore l’obésité. À terme, le but est de pouvoir proposer sous forme de routine des dosages de peptides. Ces derniers pourraient s’avérer très intéressants pour optimiser le suivi des nouveaux traitements médicamenteux impliquant des peptides, notamment ceux utilisés pour traiter l’obésité et le diabète de type 2.
De tels développements impliquent forcément une activité de recherche soutenue.
En effet, dans un hôpital universitaire comme le CHUV, diagnostic, développement et recherche sont interconnectés. Notre laboratoire des catécholamines et peptides est par exemple très impliqué dans les activités de recherche qui conduisent au développement de nouveaux tests. Ces connaissances spécifiques confèrent une grande plus-value, par rapport aux autres laboratoires, au niveau de l’interprétation des valeurs obtenues et de la transmission des résultats d’analyses pour une utilisation pragmatique en clinique.
« Notre travaillons sur de nouveaux biomarqueurs très prometteurs, les peptides, qui pourraient révolutionner le diagnostic et la compréhension de certaines maladies métaboliques. »
Du côté du laboratoire du dosage des médicaments, les travaux de recherche se concentrent notamment sur le monitoring de nouvelles approches thérapeutiques, comme les traitements anti-HIV injectables à longue durée d’action. Le laboratoire réalise aussi des dosages par LC-MS/MS pour une étude clinique sur une nouvelle molécule en développement contre la tuberculose multirésistante et pour des projets de recherches sur le suivi thérapeutique personnalisé de nouveaux immunosuppresseurs. Il participe également à des études en lien avec des médicaments anticancéreux et des caftors, de nouveaux agents qui révolutionnent la prise en charge de la mucoviscidose.
Dans le futur, quels projets de développement voyez-vous pour les laboratoires du Service de pharmacologie clinique ?
Pour aller plus loin dans l’interprétation des résultats, nous prévoyons de développer des outils d’adaptation de traitement qui tiennent compte de données pharmacogénétiques propres à chaque patient-e. En complément des approches de pharmacocinétique (PK) de population, nous prévoyons aussi d’utiliser des modèles pharmacocinétique physiologique (PBPK) qui permettent de prédire comment le médicament va se comporter dans des populations spécifiques (adultes sains, patients avec atteintes rénales ou hépatiques, ou population pédiatrique par exemple). Nous nous inscrivons ici pleinement dans le courant de la médecine de précision. Le développement de ces modèles nécessitera davantage de ressources computationnelles et certainement le recours à de l’intelligence artificielle, mais aussi une collaboration plus étroite avec les autres laboratoires en matière de partage de données. Des défis qui à mon sens valent la peine d’être relevés en vue de proposer aux patient-e-s des traitements médicamenteux sur mesure, plus efficaces et plus sûrs.
Propos recueillis par Franco Genovese
Photos: © Gabriel Monnet