Publié par Storelli Malika le 16.12.2021
L’étude menée par le Centre de neurosciences psychiatriques (CNP), en collaboration avec le Service de psychiatrie générale (PGE), montre que certains symptômes cliniques de la schizophrénie sont fortement associés à des biomarqueurs sanguins. Elle ouvre ainsi la voie à un diagnostic de précision et à un traitement plus ciblé.
Communiqué rédigé par NCCR-Synapsy
Les symptômes psychotiques sont une manifestation clinique caractéristique de la schizophrénie. Ils vont de pair avec une augmentation du stress oxydatif, menant à une altération d’un type de neurone particulier: les neurones à parvalbumine. Cette altération conduit à un dérèglement de l’activité du cortex préfrontal, une région cérébrale impliquée dans les émotions.
Une étude du Centre de neurosciences psychiatriques (CNP) du Département de psychiatrie CHUV-UNIL, soutenue par le Pôle de recherche national Synapsy, montre que le mécanisme cellulaire de recyclage des mitochondries, siège de production du stress oxydatif, est non fonctionnel dans les neurones à parvalbumine d’une lignée de souris utilisée pour étudier la schizophrénie. En décortiquant le mécanisme biochimique sous-jacent, l’étude publiée dans la revue Molecular Psychiatry identifie deux molécules clés appelées miR-137 et COX6A2, qui ont la particularité d’être détectables dans le sang. Utilisées comme biomarqueurs chez des patient-es avec un diagnostic de psychose, elles révèlent deux sous-groupes cliniques distincts, selon la gravité de leurs symptômes, leurs déficits cognitifs et leur situation psychosociale. Une avancée majeure pour la stratification des individus souffrants de ce trouble psychiatrique dont l’hétérogénéité des symptômes limite actuellement le diagnostic et les traitements.
La schizophrénie est un trouble psychiatrique dont les manifestations cliniques sont d’une grande hétérogénéité. Cette hétérogénéité rend le diagnostic difficile et suggère que plusieurs causes neurobiologiques se cachent derrière l’appellation de cette maladie. Une stratification, basée sur des biomarqueurs fiables, en permettrait une meilleure compréhension. Dans cette optique, le laboratoire de Kim Do, professeure en neurosciences au Centre de neurosciences psychiatriques (CNP), en collaboration avec le Prof. Philippe Conus, chef du Service de psychiatrie générale, deux services du Département de psychiatrie CHUV-UNIL, ont mené une étude translationelle, entre patients et modèle animal, en se focalisant sur les mitochondries des neurones à parvalbumine.
Reproduire les anomalies de la schizophrénie
Les mitochondries sont des organelles responsables de produire l’énergie pour les cellules. Pour ce faire, elles utilisent de l’oxygène et relâchent des molécules très oxydantes appelées "radicaux libres. Ces dernières sont rapidement éliminées afin de ne pas causer des dégâts irrémédiables par oxydation, le stress oxydatif. C’est le système antioxydant qui se charge de cette tâche. Le cerveau, en tant que grand producteur de radicaux libres est très sensible aux dérégulations du système antioxydant. «Nos dernières décennies de recherche ont permis d’identifier qu’une molécule du système antioxydant, le glutathion, est déficiente chez les patient-es schizophrènes. Son manque mène à une altération des neurones à parvalbumine, un type de neurone directement impliqué dans toutes les fonctions cognitives du cerveau, donc de la pensée», précise Kim Do.
Ses travaux lui ont permis de générer un modèle animal de «schizophrénie» où le niveau de glutathion cérébral est très bas. «De tels modèles animaux ne visent pas à imiter la maladie humaine dans toute sa complexité, mais à reproduire une anomalie typique et ses conséquences», ajoute-t-elle.
Machinerie respiratoire grippée
Ce modèle animal a permis d’observer que des mitochondries non fonctionnelles s’accumulent dans les neurones à parvalbumine du cortex préfrontal. «Normalement, elles sont éliminées ou recyclées. Le système de nettoyage n’est donc vraisemblablement plus fonctionnel chez ce modèle de schizophrénie», indique Inès Khadimallah, chargée de recherche au laboratoire de Kim Do et première auteure de l’étude.
Les mitochondries sont normalement capables d’éliminer une de leur partie endommagée en se scindant par un mécanisme appelé mitophagie. Il implique une série de molécules dont la production est contrôlée par miR137, un microARN qui joue un rôle central pour cette régulation. Avec ses collègues, Inès Khadimallah a pu démontrer que le taux de miR-137 était très élevé dans le modèle animal, tout comme le stress oxydatif. De manière concordante, un élément de la respiration cellulaire exprimé spécifiquement par les neurones à parvalbumine, la molécule COX6A2, est également diminué. «En d’autres termes les mitochondries sont dysfonctionnelles suite à l’augmentation de stress oxydatif de ce modèle», résume -t-elle.
Sur la route d’un traitement spécifique?
Pour tenter d’intervenir directement sur les radicaux libres produits par les mitochondries, les neuroscientifiques ont montré que les altérations de ces deux molécules, miR137 et COX6A2, peuvent être complètement corrigées par un composé antioxydant ciblant les mitochondries, le MitoQ. Les chercheur-euses ont pu démontrer que le traitement avec le MitoQ augmente également la survie et la fonctionnalité des neurones à parvalbumine du cortex préfrontal. «Compte tenu de ces résultats encourageants, ce composé va être testé chez l’humain comme traitement additionnel dans la phase précoce de la maladie. Une avancée importante!», se réjouit la chercheuse.
Un trouble, deux fondements neurobiologiques
En analysant le sang de personnes avec un diagnostic psychotique, les neuroscientifiques ont pu déterminer les taux de miR137 et de COX6A2 cérébraux. En utilisant ces deux molécules comme biomarqueurs, ils ont réussi à démontrer qu’il existe, dans la grande hétérogénéité de symptômes de la schizophrénie, deux groupes distincts de patient-es, avec ou sans problèmes de mitochondries. De plus, l’anomalie des mitochondries est associée à des troubles cognitifs et à leurs symptômes cliniques correspondants: une perte d’autonomie et une baisse des aptitudes sociale. «Les patients-es souffrant d’un défaut mitochondrial ont des symptômes cliniques plus sévères que les autres», résume Inès Khadimallah.
L’étude révèle des biomarqueurs qui permettraient de sélectionner avec pertinence les patients susceptibles de bénéficier d’un traitement ciblant la dérégulation des mitochondries cérébrales. «Nos travaux ouvrent la voie à un diagnostic de précision ainsi qu’à un traitement précoce et individualisé pour les sujets à haut risque clinique», termine Kim Do.
Image : Neurones parvalbumine de souris.
Les neurones parvalbumines d’un modèle murin de schizophrénie sont atteint par un excès de stress oxydatif. Des traces de ce mécanisme neuropathologique sont détectables dans le sang des patient-es, ouvrant la voie à un meilleur diagnostic et un traitement potentiel avec des composés antioxydants.