Thèse soutenue, sous la direction de Anne Fagot-Largeault, Institut d’histoire et de philosophie des sciences et des techniques, Université Paris 1 & de Vincent Barras, IHM, CHUV-Unil
La psychiatrie est une spécialité médicale dont la nosographie se renouvelle périodiquement alimentée régulièrement par de nouveaux concepts. Si l'épistémologie générale des classifications psychiatriques intéresse les philosophes (Demazeux), certains psychiatres mettent à l'épreuve d'une analyse historique et critique des concepts cliniques : schizophrénie (Sinzelle), paranoïa (Craus), autisme (Hochmann). Au sein de la psychiatrie de l'adulte, le champ des pathologies psychotiques - les psychoses - est aujourd'hui dominé par les schizophrénies, tandis que du côté de la psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent - la pédopsychiatrie, il se restreint de plus en plus aux troubles du spectre autistique (TSA). La pédopsychiatrie est une discipline médicale spécifique et jeune, dont la reconnaissance institutionnelle varie selon les pays. En France et en Europe, la première chaire universitaire est créée à Paris en 1948 et confiée à Georges Heuyer. Les psychoses de l'enfant constituent la partie de la pathologie pédopsychiatrique la plus importante en termes de sévérité et d'intensité symptomatique grevant le fonctionnement psychique, l'insertion sociale et scolaire des enfants. Nécessitant un ensemble important de moyens humains et de techniques thérapeutiques, elles forment un enjeu de santé publique considérable. Pourtant, elles ne cessent de poser de nombreuses questions épistémologiques qui pourraient être abordées selon les exigences d'une étude philosophique et à partir d'une expérience clinique.
L'objet de cette recherche est une histoire critique et une analyse philosophique de la pédopsychiatrie à l'endroit des psychoses de l'enfant, afin d'améliorer les connaissances dans cette spécialité. Que recouvre le vaste champ nosographique des psychoses en pédopsychiatrie ? Quelles en sont dans la pratique médicale les conséquences cliniques et thérapeutiques ?
Cette recherche peut se décliner en trois volets distincts : les deux premiers, historique et philosophique, sont foncièrement intriqués, apportant pour ainsi dire une vision binoculaire du concept de psychose de l'enfant ; le troisième s'inscrit dans une étude actuelle et de terrain.
1) Histoire du domaine nosographique. L'histoire des psychoses de l'enfant est en grande partie faite par des universitaires de la spécialité mais se confond avec l'histoire de l'autisme (Hochmann). Si l'article princeps de Kanner (1943) est souvent cité à propos de l'autisme, l'article de Sante de Sanctis (1905) à propos de la démence précocissime est méconnu et non étudié.
Cette partie concerne aussi bien les aspects généalogiques des psychoses de l'enfant comme entité clinique, que l'exploration des différentes notions qui recouvrent en partie le tableau clinique des psychoses. Ainsi sera-t-on amené à remonter aux origines de la pédopsychiatrie et à la constitution d'une discipline en diverses langues (française, allemande, anglaise, italienne et espagnole). En conséquence, une histoire des traductions d'une langue à l'autre de différents signifiants permettra de pointer leur naissance et de souligner leur fortune : psychose, autisme, démence précoce, dysharmonie, schizophrénie précoce. Cette étude implique donc un travail de traduction.
2) Analyse critique et philosophique de cette recherche diachronique, de la fin du XIXème siècle à aujourd'hui. Cerner l'objet de l'étude est à la fois un préalable et la substance même de la recherche afin de contribuer à la création de connaissance en pédopsychiatrie. Les psychoses de l'enfant recouvrent en effet un vaste domaine et les signifiants utilisés varient au cours du temps ; elles ne laissent pas néanmoins de concentrer les efforts des thérapeutes aujourd'hui.
3) Analyse des pratiques contemporaines via une enquête de terrain et une cohorte de 50 patients. Ce volet anthropologique et philosophique ancré dans l'actuel d'une pratique médicale contemporaine pourrait étudier d'une part ce que recouvre cliniquement les diagnostics du registre psychotique selon les classifications en usage (CIM-10, DSM IV, DSM 5, CFTMEA) et leurs conceptions sous-jacentes ; et d'autre part les types de traitements proposés selon le regard clinique porté. Pour ce faire, un service généraliste de pédopsychiatrie est disponible, il offrirait un lieu d'étude commode pour une enquête de terrain avec une cohorte de patients.