Thèse en cours sous la direction de Delphine Gardey, Faculté des sciences de la société, Université de Genève & de Vincent Barras, IHM, CHUV-Unil
Les questionnements que suscite le terme même d’« andrologie » illustrent la méconnaissance qui entoure cette branche médicale, consacrée au corps masculin dans ses caractéristiques sexuées. Les relations entre andrologie et gynécologie témoignent des constructions médicales différenciées des corps reproducteurs et sexués. En effet, si les travaux historiques qui se sont penchés sur l’histoire de la médecine, de la sexualité, des femmes et du genre, ont souligné l’émergence de la gynécologie comme spécialité médicale dès le XIXe siècle en Europe (De Ganck, 2016 ; Moscucci, 1990), ils signalent également que l’institutionnalisation de la gynécologie comme « science des femmes » ne prend sens, dans son rôle de production de savoirs sur la féminité et de régulation de rapports sociaux de pouvoir (De Ganck, 2016), que par l’absence d’un équivalent masculin (Moscucci, 1990). Pourtant, et en dépit de l’absence de travaux historiques consacrés exclusivement à l’andrologie, il est possible de constater qu’il y a bel et bien eu, dès la fin du XIXe siècle, des tentatives discontinues de constituer une « science du masculin » parallèle à la gynécologie, en Europe, au Brésil et aux Etats-Unis, par des urologues et sexologues notamment (ibid ; Carrara, 2004 ; O’Neill, 2003). Il faudra néanmoins attendre la fin des années 1970 pour que l’andrologie ne devienne une discipline pérenne mais minoritaire en Europe et en Amérique du Nord, organisée autour de l’étude de la fertilité, de la sexualité, de la physiologie et pathologie de l’appareil génital masculin (Wöllmann, 2014).
Cette thèse se propose de considérer l’histoire de la non-émergence de l’andrologie comme étant le produit d’une production structurelle de l’ignorance (Proctor et Schiebinger, 2008). Ce faisant, son objectif est double : il s’agit, d’une part, de retracer l’histoire des tentatives et des obstacles à l’institutionnalisation de l’andrologie comme spécialité médicale en France et en Suisse romande, mais aussi de rendre compte du contenu des savoirs et les pratiques médicales développés dans le cadre de ce qui peut être historiquement défini comme des « médecines » du corps reproducteur et sexué masculin. Pour se faire, ce travail repose sur un corpus constitué d’archives hospitalières et médicales, de la littérature savante (thèses de médecines, manuels de vulgarisation et d’hygiène, publications et communications médicales), mais également de savoirs construits comme illégitimes et charlatanesques (conseils à la santé, publicités, brevets d’invention…), situés entre la fin du XIXe siècle et les années 1970.