Thèse en cours sous la direction de la Pre Laurence Monnais, IHM, CHUV-Unil & de Gildas Brégain CNRS
En 2022, les Talibans au pouvoir en Afghanistan ont interdit aux femmes du pays d’accéder à l’enseignement supérieur, avant de prohiber toute collaboration de celles-ci avec les ONG. L’UNICEF a immédiatement dénoncé la privation d’un « droit inaliénable », tandis que l’on observe une tendance à ce type de restriction dans plusieurs pays du Moyen-Orient, qu’il s’agisse de la Syrie ou de l’Iran. Les conséquences de ces décisions sont dramatiques sur les plans socio-économique et politique, et bien sûr en matière de droits des femmes. Toutefois, pour l’UNICEF comme pour d’autres ONG s’exprimant dans le British Medical Journal, cet « effacement des femmes » soignantes aura surtout des « conséquences désastreuses » dans le champ médico-sanitaire. En effet, ces pays risquent, à court terme, de manquer de femmes médecins et d’infirmières. Or, les professionnelles de santé sont des actrices majeures de la santé au Moyen-Orient et sont à l’avant-scène de la santé mondiale. Le rôle crucial des soignantes, en particulier dans l’amélioration de la santé des femmes et des enfants, est connue dans et au-delà du Moyen Orient. Ceci étant dit, et par contraste, l’histoire de celles-ci a été largement négligée. On rappelle par ailleurs aisément que la santé maternelle et infantile a longtemps été un domaine réservé aux femmes, matrones traditionnelles assistant les parturientes avant de devenir de véritables professionnelles de santé - pédiatres et gynécologues, infirmières, sages-femmes - avec l’avènement de la biomédecine à la fin du XIXème siècle. Mais de ce fait, l’analyse de leurs fonctions reste non seulement souvent détachée des terrains sur lesquels elles s’exercent et limitée à ce double champ d’intervention jugé « naturel ». Notre projet de doctorat veut combler ces carences historiographiques et mettre au centre de la médicalisation du monde les femmes soignantes, en partant d’espaces sous influence française en Méditerranée orientale (Syrie, Liban et Algérie), entre 1866 et 1948, où elles n’ont eu a priori qu’une place très circonscrite et subalterne. 1866, date à laquelle une conférence sanitaire internationale fait des territoires étudiés la cible des nations européennes en matière de lutte contre les épidémies, constitue la borne chronologique inférieure de notre
projet. L’année 1948 marquera sa fin, avec la mise sur pied de l’OMS au lendemain de l’indépendance de la Syrie et du Liban en 1946. Ce projet vise dès lors trois objectifs principaux : 1- Documenter et analyser les parcours des femmes soignantes dans le cadre missionnaire et non missionnaire dans les trois territoires en les replaçant dans les politiques « coloniales » et de santé de l’époque. 2- Mettre en lumière et étudier les trajectoires, les circulations (mobilité humaine et échange d’idées) et les réseaux scientifiques dans lesquels ces femmes soignantes se sont insérées. 3- Repenser les histoires de médicalisation en Méditerranée orientale « sous influence » coloniale au prisme du genre en les abordant sous l’angle de réseaux praticiens et experts féminins.