L’histoire de ce patient est hors-norme. Il est arrivé au CHUV à l’âge de 3 ans, au début de l’été 2022, pour être traité pour un cancer. Quelques semaines après son hospitalisation, il a développé une insuffisance cardiaque due à une infection qui a affaiblit son cœur. En raison de son traitement oncologique, l’enfant ne pouvait pas être mis sur liste d’attente pour une greffe cardiaque. Son cœur n’effectuant plus son travail de pompe, le garçon a donc été placé sous assistance cardiaque bi-ventriculaire – grâce à « Berlin Heart Excor », un dispositif externe « branché » à l’organe – pour soulager et aider son cœur malade.
Une prise en charge multidisciplinaire
L’équipe de chirurgie cardiaque pédiatrique du CHUV a opéré une première fois l’enfant pour installer ce dispositif sur les deux ventricules. Cette machine est exclusivement réservée aux enfants qui souffrent d’insuffisance cardiaque et permet de gagner du temps en préservant le cœur, en vue d’une éventuelle greffe.
Une complication grave et malheureusement fréquente liée à ce dispositif d’assistance cardiaque est la formation de caillots sanguins pouvant conduire à un AVC. « Plus le dispositif est posé longtemps, plus les risques augmentent », explique la Dre Marie-Hélène Perez, médecin cheffe et responsable des Soins intensifs pédiatriques du CHUV, unité spécialisée dans la prise en charge de jeunes patients nécessitant une surveillance constante. Une collaboration étroite entre spécialistes pédiatriques de chirurgie cardiaque, intensivistes et cardiologues est donc nécessaire pour éviter au maximum ces complications qui peuvent parfois conduire à une issue dramatique.
« L’hospitalisation de ce petit garçon a duré une année dans notre unité, indique la Dre Marie-Hélène Perez. Au fil du temps, nous avons noué des liens forts avec lui et sa famille. Pour leur permettre plus de liberté, nous avons enseigné aux parents comment se familiariser avec la machine. Grâce à cela, ils pouvaient sortir de l’unité tout en restant dans le périmètre du CHUV. »
Des signes qui montraient que le cœur récupérait
Quelques mois après la pose de la machine, l’équipe et les parents ont observé des signes indiquant une récupération cardiaque. « Durant une échographie de contrôle, j’ai vu qu’une compétition entre le cœur et la machine était en train de s’installer. C’est à partir de ce moment que l’idée d’un sevrage de l’assistance, sans passer par une greffe, a commencé à germer », explique le Dr Stefano Di Bernardo, cardiologue pédiatre et médecin chef au Service de pédiatrie du CHUV. Les parents ont donc décidé de prendre le risque du sevrage.
Pour pouvoir retirer le dispositif et maximiser les chances de succès, l’équipe a suivi un protocole très strict pour remuscler le cœur avec l’aide d’un médicament qui augmente la force de la contraction cardiaque et le prépare à fonctionner de manière autonome.
Le CHUV active son réseau pour une opération risquée
« Nous avons décidé de retirer la machine et de conserver son cœur natif, explique Pr Reza Hosseinpour, médecin chef et chirurgien cardiaque pédiatrique au CHUV. Un exercice jamais tenté à Lausanne et périlleux à plus d’un titre. D’une part, parce qu’il fallait s’attaquer au retrait de la machine non pas d’un seul mais des deux ventricules. Et d’autre part parce qu’en principe, on retire le dispositif pour greffer un nouveau cœur. Là, l’enjeu était de retirer cette machine sans endommager les tissus existants. De la vraie dentelle. »
Pour réaliser l’opération de sevrage bi-ventriculaire au bloc opératoire du CHUV, le Pr Hosseinpour s’est fait accompagner par le chirurgien Fabrizio De Rita, un spécialiste de Newcastle (Angleterre) qui connait bien cette intervention. « Sa présence m’a été d’une grande aide. Il m’a accompagné et montré les pièges à éviter, mais tout cela n’aurait pas été possible sans l’aide de toute l’équipe du bloc, les anesthésistes, les perfusionnistes, instrumentistes et aides de salles », indique le Pr Hosseinpour.
L’opération a duré une matinée entière et a été un succès. L’enfant a pu quitter les soins intensifs quelques jours seulement après l’intervention et rentrer chez lui un mois plus tard. En rémission de son cancer, il est aujourd’hui suivi en ambulatoire au CHUV. « Nous sommes passés par des montagnes russes terribles, mais nous avons gardé la foi et nous sommes battus tout au long de ce parcours, confie son papa. Lorsque nous sommes rentrés à la maison, notre fils est allé directement dans sa chambre et s’est mis à jouer avec son train, comme s’il l’avait quittée la veille. »